L’extraction du métal précieux, dont le prix a quadruplé en dix ans, se réalise souvent dans des conditions sociales et environnementales déplorables. Certains joailliers en ont conscience et s’engagent. Enquête.
JOAILLERIE. C’est trop tard. Les alliances ne parlent pas, la vôtre ne vous dira rien de son passé trouble. Dans de nombreux pays, l’extraction de l’or menace l’environnement et la santé des populations locales. Cela commence tout juste à se savoir. “Contrairement à ce qui se passe autour des diamants, nous n’avons pas la chance d’avoir Leonardo DiCaprio comme attaché de presse (acteur principal du film Blood Diamond, NDLR). Néanmoins, le consommateur se réveille. Ces deux dernières années, nous avons senti une vraie prise de conscience, notamment lors du dernier Salon de Bâle”, se réjouit Veerle van Wauwe, fondatrice de Transparence SA, lobby genevois de bijoutiers éthiques.
Qu’est-ce que l’or sale ? Pas la pépite en elle-même, mais son extraction (2 000 tonnes par an dans le monde) qui s’accompagne de contrecoups sociaux, économiques, environnementaux ou sanitaires. En effet, les grandes compagnies minières ne remettent pas toujours les sols en état (saillies et déforestation) et versent des royalties dérisoires aux pays qu’elles exploitent : “Les droits avoisinent les 3 % pour l’or contre 40 % pour le pétrole”, s’indigne Patrick Schein, responsable de l’Association pour la mine responsable (ARM). L’extraction artisanale, qui représente 15 % de la production et 90 % de la main-d’oeuvre, ne garantit pas des pratiques plus morales : les mineurs attrapent l’or avec du mercure.
Cette substance, qui facilite la récolte (elle s’amalgame à l’or), est hautement toxique. En février dernier, WWF lance une campagne “Non à l’or illégal !” et diffuse De la mine à la vitrine, une enquête sur l’orpaillage en Guyane qui vise à sensibiliser les consommateurs : “Sous l’action de l’acidité de l’eau, le mercure se transforme en méthylmercure qui s’accumule le long de la chaîne alimentaire et provoque, à haute dose, des troubles neurologiques”, s‘émeut la voix off. L’ONG Oxfam s’est, elle aussi, emparée du sujet il y a quatre ans. En 2006, à la suite de la campagne “No Dirty Gold” (pas d’or sale), elle présente en ligne une liste de joailliers responsables. Parmi eux, Cartier, Boucheron, Piaget.
Les trois signataires sont aussi membres du Responsible Jewellery Council, une association censée réglementer la profession grâce à une charte en 117 points, dont un tiers réglemente la provenance des métaux. “Nous demandons à nos fournisseurs de la respecter et de demander à leurs propres fournisseurs d’y adhérer également, c’est un effet cascade”, explique Charles Chaussepied, chez Piaget. Mi-avril, Chopard a, à son tour, annoncé son entrée au RJC.
Rolex, grand consommateur d’or, n’en fait toujours pas partie. Il assure néanmoins ne travailler qu’avec des fournisseurs certifiés. “Même si le chemin est encore long, cette charte, initiée par une industrie par ailleurs très conservatrice, est un bon début”, se félicite Veerle van Wauwe. Une autre option, plus fiable en termes de traçabilité, est d’acheter directement son or à la mine. Cela nécessite de prendre en charge soi-même l’alliage et le raffinage. L’année dernière, Wal-Mart, le poids lourd mondial de la grande distribution, a décidé de travailler avec deux sociétés minières responsables. Résultat : une ligne de bijoux éthiques au nom chargé de bons sentiments “Love, Earth”. Depuis deux ans, Tiffany & Co achète aussi l’intégralité de son métal précieux à la mine Bingham Canyon dans l’Utah, exploitée selon des critères éthiques.
Place Vendôme, il n’y a que Cartier qui soit allé aussi loin. Sa longueur d’avance s’appelle Pamela Caillens, petite femme à l’air fonceur. Directrice des enjeux éthiques de la marque depuis cinq ans, elle explique avoir scanné l’horizon pendant trois ans à la recherche d’une pratique minière exemplaire et innovante. L’année dernière, elle a fini par dénicher Eurocantera, une mine d’or semi-industrielle et responsable (aucun produit toxique), au Honduras, détenue par la société italienne Goldlake : “Le but n’est pas de transformer notre métier en achetant l’intégralité de notre consommation à la mine, mais d’envoyer un signal fort à nos fournisseurs.” Car Eurocantera ne couvre que 5 % des besoins en or de Cartier.
Jel, bijoutier jusqu’au-boutiste
Les petites marques, moins gourmandes en or, se tournent vers l’artisanat responsable, qui est par ailleurs un très bon argument marketing. En France, peu de sociétés exploitent le créneau. April, une ligne de bijoux pour “les enfants et leur maman”, a été lancée au début du mois d’avril (voir encadré). Sa fondatrice, Muriel Gibault, a été conseillée par Erwan Le Louer, 25 ans, à la tête de la marque JEL. Ce bijoutier, distribué chez Colette et Franck & Fils depuis près d’un an, est jusqu’au-boutiste : il va jusqu‘à rembourser l’empreinte carbone du trajet des journalistes qui viennent le voir… “Mais l’esthétique de nos collections reste notre priorité”, prévient Erwan Le Louer. L’or utilisé par JEL provient de deux sources : le recyclage (Erwan Le Louer préfère “renaissance de la matière”) et l’or d’Oro Verde en Colombie, où les mineurs s’engagent à ne pas utiliser de mercure et à réhabiliter les terres. Pour les 22 joailliers partenaires d’Oro Verde, la pépite coûte entre 10 % et 15 % plus cher qu’au London Metal Exchange (LME).
“Des initiatives surgissent un peu partout, proches d’Oro Verde ou d’EcoAndina, une mine lancée par des ingénieurs allemands en Argentine”, ajoute Veerle van Wauwe. Et bientôt, l’offre artisanale éthique pourrait exploser. L’Association pour la mine responsable a annoncé, mi-mars, un partenariat avec le Fair Trade Labelling Organization (FLO), pour la création d’un label aurifère de commerce équitable, finalisé dans un an. “Nous travaillons déjà sur neuf mines pilotes”, explique Patrick Schein. Pour être sûr de consommer de l’or propre, il suffira de s’approvisionner chez des négociants qui ne collaborent qu’avec des mines labellisées. L’objectif est de fournir 15 % de la consommation d’or des pays industrialisés d’ici à dix ans.
April, le printemps de la joaillerie équitable
Muriel Gibault assume : “je n’ai pas peur des bons sentiments”. Elle vient de lancer une marque de joaillerie responsable composée de bijoux en or (équitable issu de mines artisanales) et argent (recyclé), à destination des mamans et des enfants. Tout est fabriqué en France, afin de pérenniser le savoir-faire des artisans mais également de limiter le bilan carbone de la marque. La chef d’entreprise souhaite à terme reverser une partie de ses bénéfices à une association qui s’occupe d’enfants. Le nom de baptême de la collection, April, fait référence au printemps et à la renaissance de la nature : les motifs des bijoux sont à l’avenant.
Pourtant, cette femme qui a passé près de trente ans à jongler avec les chiffres dans l’industrie n’a rien de candide. La “crise de la cinquantaine” est passée par là et Muriel Gibault a changé de voie. Et s’en est donné les moyens. Elle est allée prendre conseil auprès d’Erwann Le Louer, un des premiers entrepreneurs français à s’intéresser à l’or éthique, a mis toutes ses économies dans son projet et a fait appel à Isabel Encinias, une créatrice qui travaille pour les grands noms de la place Vendôme, pour dessiner ses bijoux. Bagues, bracelets, boucles d’oreilles et pendentifs (à partir de 98 € pour les modèles en argent et 310 € pour ceux en or) sont disponibles depuis le mois dernier dans quelques points de vente et sur April Paris.